La tradition : changement de genre au pluriel Amour « Amour », pour commencer, est bien masculin au singulier, tout comme le latin amor dont il est issu : un amour fervent, un amour malheureux, un amour maternel, un amour passionné… Cas particulier On a parfois rencontré « amour » au féminin singulier (une belle amour), mais cette forme « antique » relève aujourd’hui de la fantaisie stylistique. Par exemple, le poète Paul Valéry a écrit « cette amour curieuse ». Au pluriel, il devient féminin : « Mais le vert paradis des amours enfantines (…) ? », s’interroge Charles Baudelaire dans son poème « Moesta et errabunda », tiré des Fleurs du mal (1857). Plus récemment, dans sa Chanson de Prévert, Serge Gainsbourg chante « Jour après jour les amours mortes » (qui rime avec « feuilles mortes »). Il faut dire qu’en 1962, l’usage du masculin pluriel n’était pas encore répandu… Sur ce modèle, on écrira : de nouvelles amours, des amours mutuelles… Cas particulier Quand il s’agit des représentations du dieu Amour (en peinture, sculpture, etc.), « amour » est toujours masculin, au singulier comme au pluriel. Exemple : « des amours sculptés ». Délice « Délice » est également masculin au singulier, d’après le latin delicium, dont il est issu, et féminin au pluriel, d’après le latin deliciae. Ainsi, le poète Gérard de Nerval écrit-il « l’imagination m’apportait des délices infinies ». Sur ce modèle, on écrira : mes chères délices, des délices interdites… Cas particulier Après « un des », « un de », « le plus grand des », « délices » est masculin pluriel. Par conséquent, l’adjectif ou le participe qui se rapporte à « délices » s’accorde au masculin pluriel. Exemple : « Un de mes plus grands délices est de lire au soleil. » Orgue « Orgue » est également masculin au singulier, car formé sur le neutre latin organum, et féminin au pluriel lorsqu’il désigne un seul instrument. Concrètement, cette forme ne subsiste que dans l’expression figée « les grandes orgues ». André Gide a écrit « il tenait à Saint-Ouen les grandes orgues ». Sur ce modèle, on écrira : les grandes orgues de Notre-Dame. Découvrez nos solutions en orthographe et en expression. La pratique : même genre au singulier et au pluriel Dans le langage courant, « amour », « délice » et « orgue » tendent à rester masculins au pluriel. Résultats : le féminin pluriel est désormais noté, dans les dictionnaires, comme « soutenu », « poétique » ou « littéraire », avant de devenir « vieilli » ou « archaïque », puis de disparaître sans doute. Amour Déjà, en 1885, dans son livre de souvenirs intitulé Le Livre de mon ami, Anatole France écrivait « Pauvre âme en peine, pauvre âme errant sur l’antique océan qui berça les premiers amours de la terre ». Autre temps, autre support : la formule « premiers amours », au masculin pluriel, a été reprise par la marque de jean Levi’s, comme slogan sur ses affiches publicitaires. Délice Pour délice, même combat : la langue courante tend à garder le masculin au pluriel dans tous les cas. Notons que dans l’expression « un lieu de délices », « délices » est au pluriel. Enfin, dans l’expression « avec délice », « délice » est le plus souvent au singulier, mais le pluriel n’est pas fautif. Orgue « Orgue » a sans doute été l’un des premiers du « trio » à redevenir masculin au pluriel, sauf, comme nous l’avons vu plus haut, dans « grandes orgues ». Autres accords à connaître : « orgue » est le plus souvent au singulier dans « jeu d’orgue », « buffet d’orgue », « tuyau d’orgue » et au pluriel dans « facteur d’orgues ». Heureusement, il restera le titre du livre du facétieux Alphonse Allais Amours, délices et orgues (1898) pour faire perdurer la mémoire de ces trois trublions de la langue française, résignés à rentrer dans le rang. Lisez aussi sur ce blog : 5 mots littéraires pour désigner le paradis ; 5 mots littéraires pour désigner l’enfer. Sandrine Campese Publié par Sandrine