Bruno Dewaele Professeur agrégé de lettres modernes, champion du monde d’orthographe Que serait le Tour de France sans ses cols ? Peu de chose, n’est-il pas vrai ? Eh bien, je crains qu’il n’en aille de même pour la langue. D’aucuns, qui ont oublié que les utopies s’usent si l’on s’en sert, rêvent aujourd’hui de faire, de sinueux mais verdoyants chemins de campagne, une autoroute rectiligne et sans surprises. À supposer déjà que l’on y parvînt (la première tranche de travaux laisse en effet sceptique sur la capacité de nos réformateurs à ne point recréer en aval les bizarreries qu’ils suppriment en amont), elle risquerait surtout d’être monotone. Pis – et je songe là à qui verrait dans cette simplification tous azimuts une rare occasion de cacher la poussière de la débâcle scolaire sous le tapis –, n’espérez pas qu’elle soit moins meurtrière. Sur l’autoroute on s’endort, on relâche sa vigilance. Le virage au contraire la réveille, le dos-d’âne oblige à ralentir. C’est dans la difficulté que se forge l’écriture, et je ne sache pas qu’on l’ait jamais vaincue en l’éludant ! Sandrine Campese Rédactrice et auteure spécialisée en langue française Je ne crois pas que la réforme simplifie l’apprentissage de notre langue. Ce sont des mots courants comme accueil ou connexion qui posent de réelles difficultés, pas nénuphar et oignon. Sans parler de la grammaire, absente des rectifications, qui fait bien plus souffrir les francophones (et leurs correcteurs automatiques !). Pour moi, la réforme a pour but de faire évoluer notre langue, en se conformant à l’usage (qui prononce « évènement » depuis belle lurette), en corrigeant des anomalies qui vont à l’encontre de l’étymologie (chariot), en francisant les emprunts étrangers (scénarios) et en anticipant la création de nouveaux mots. De ce point de vue, les conservateurs s’opposent à Malherbe et à Vaugelas qui ont voué leur vie à moderniser la langue française en la rendant plus claire et plus pure. D’où leur nom de… puristes ! Pourquoi, en 2016, notre orthographe ne pourrait-elle plus, ne devrait-elle plus évoluer ? A-t-elle atteint un si haut degré de perfection ? Dans cette bataille, je pose une seule carte sur la table : celle de l’humilité. Marie-France Claerebout Relectrice et formatrice À propos des recommandations de 1990, j’aurais peu à dire en qualité de correctrice. Je m’en tiens aux positions des éditeurs, qui, quoi qu’il en soit, ne peuvent décemment aller plus vite que le dictionnaire. Comme formatrice, j’ai assez peu l’occasion d’évoquer les modifications recommandées, même auprès de ceux qui réclament une simplification de l’orthographe. Une tendance naturelle étant d’habiller la voyelle finale des mots courts (un feux, un délais), je doute qu’il soit plus simple d’écrire « relai » que « relais ». Quant aux accents, que l’on puisse aller « à la crèmerie en sortant de chez le médecin » plutôt qu’« à la crémerie en sortant de chez le médecin » n’avance guère ceux qui réclament plus de logique. Et comment pourrais-je encourager la graphie « vingt-et-un », au mépris de ce pauvre « et » ? Pour bien écrire, apprenons avant tout à connaître les mots, leur nature, leur rôle… et leur vécu. Car heureusement la langue est vivante, elle évolue constamment. Mais certes pas par décret. Aurore Ponsonnet Ancienne orthophoniste, formatrice et auteur Je suis favorable à l’évolution de la langue. Si la langue n’avait jamais évolué, nous parlerions encore le vieux « françois ». Je trouve mille fois plus important de s’intéresser au sens, à la transmission de l’information, que de s’accrocher à l’orthographe désuète. Certains accents circonflexes sont nécessaires pour différencier deux mots (sur / sûr), ceux-ci ne vont pas disparaître?! Comment expliquer à des personnes en difficulté les différences de prononciation de certaines graphies identiques (oignon / moignon?; événement / avènement, clef / nef) et aussi l’orthographe illogique de certains mots (combattant / combatif?; imbécile / imbécillité) ? Modernisons et donnons le goût de la langue, de la grammaire et de l’orthographe (qui suit des règles logiques) aux jeunes Français pour ne pas s’adresser qu’aux élites qui maîtrisent les exceptions, eux, car ils ont la chance d’avoir une bonne mémoire orthographique (car je considère que c’est une chance). Évelyne Vernisse Formatrice en communication écrite Imaginez-vous la souffrance des adultes en difficulté avec l’orthographe depuis leur enfance ? Il n’est pas rare qu’en me racontant leur parcours, ces humains-là fondent en larmes, rongés par la honte, empêchés d’évoluer professionnellement, socialement, à cause justement de leur orthographe fantaisiste. Pourtant, ils veulent tellement s’en sortir. Savez-vous à quel point ils désirent comprendre la langue, savoir eux aussi l’utiliser ? Alors, oui, pour eux, je ne suis pas opposée à cette réforme qui gomme quelques anomalies. Évènement, relai, n’est-ce pas plus logique ainsi ? Et je suis tellement soulagée de ne plus avoir à leur asséner la règle des verbes en -eler et -eter. Ainsi pourront-ils consacrer tous leurs efforts – et mesurez-vous combien il leur en faut ? – à apprendre à s’autocorriger quand ils écrivent : « il vous devez des explication ». Alors, oui, je regrette la disparition de l’accent circonflexe, je reste perplexe devant nénufar et ognon, mais tant que l’école ne saura pas enseigner l’orthographe à TOUS les enfants, je suis globalement favorable à cette réforme. Agnès Colomb Auteur-adaptateur Je fais partie de ceux qui ont une réaction de rejet épidermique en voyant écrit « maitresse » sans accent circonflexe – cela me fait peu ou prou l’effet d’un crissement d’ongles sur un tableau noir. Et quand mon fils de huit ans me demande pourquoi il y a un accent circonflexe à ce mot, je suis heureuse de pouvoir lui répondre. La langue est un être vivant, et pour qu’elle ne se dessèche pas, elle a besoin de ses racines. On doit pouvoir voir dans les mots les traces de leur histoire. Néanmoins, lorsque je vois des amis bataillant avec l’orthographe, et chez qui cela engendre une vraie souffrance, comment puis-je ne pas comprendre leurs arguments en faveur d’une simplification de la langue ? Comment ne pas entendre qu’ils nous voient, nous, les défenseurs de la langue, comme des privilégiés ? Mais est-ce la bonne voie que de proposer deux orthographes pour un même mot ? Il me semble plutôt qu’on risque ainsi de plonger dans la confusion ceux qui apprennent. Le français, certes, se réinvente sans cesse, mais l’accouchement toujours répété de notre langue doit être naturel, et ne pas se faire au forceps. Si les changements entrés dans l’usage doivent être entérinés, ce n’est pas encore le cas de la « maitresse » sans chapeau. Pascal Hostachy Cofondateur du Projet Voltaire La vocation du Projet Voltaire n’est pas d’édicter les règles, mais de permettre à celles et ceux qui souhaitent s’y conformer de le faire avec efficacité et sans douleur. Ceci n’empêche pas chaque membre du comité d’experts du Projet Voltaire d’avoir un avis sur la nouvelle orthographe de 1990. Je ne suis pas expert (810 au Certificat Voltaire), mais animateur de ce comité. En tant que francophone, j’ai un avis sur ce qui est appelé improprement « réforme » de l’orthographe. Elle est loin des caricatures qui en sont faites (une wa, l’orthografe, disparition totale de l’accent circonflexe, une simplification outrancière de notre belle langue…). En réalité, le champ d’action de cette nouvelle orthographe est très réduit, et il a vocation à éliminer quelques absurdités. En ce sens, je la trouve pertinente. Il me semble que les personnes qui nous expliquent que cette nouvelle orthographe est scandaleuse et dangereuse exagèrent, et que les personnes qui prétendent qu’elle va permettre aux jeunes générations de mieux appréhender la langue française se leurrent. Vous êtes utilisateur du Projet Voltaire et/ou candidat au Certificat Voltaire ? Découvrez notre foire aux questions sur la « réforme » de l’orthographe. Propos recueillis par Sandrine Campese Publié par Sandrine