« Par contre » est une vieille locution On aurait tort de penser que la locution « par contre » est d’apparition récente, et qu’elle est le reflet d’une époque où « tout fout l’camp », où l’on ne sait plus parler correctement. Corrigeons cette idée reçue sans plus tarder : « par contre » a été attesté pour la première fois au XVIe siècle dans les écrits de Jean Calvin, un pasteur et un théologien pas particulièrement porté sur la fantaisie. De la même époque datent les équivalents anglais (calque du latin) per contra et italien per contro, qui se sont imposés sans difficulté. Voltaire à l’origine de la polémique C’est notre bon Voltaire qui, en 1737, lança les hostilités. Il voulait que « par contre », qui était apparu dans le langage commercial, y reste. Malheureusement, il ne donna pas plus de précisions sur les raisons de ce rejet. Plus d’un siècle plus tard, dans son Dictionnaire de la langue française (1863-1872 pour la première édition, 1873-1877 pour la seconde), Émile Littré confirma la position de Voltaire, non sans ambiguïté. D’un côté, il admet que cette locution « peut se justifier grammaticalement ». Il donne comme exemple « de contre » et « d’après » qui contiennent également deux prépositions. De l’autre, il signale qu’elle « ne se justifie guère logiquement ». Selon lui, « par contre » signifierait « contrairement » et non « en compensation ». Il finit, comme Voltaire, par renvoyer la locution au seul usage commercial (il s’agirait de l’ellipse de « par contre-envoi »), déconseillant vivement sa transposition « dans aucun style ». Découvrez nos solutions en orthographe et en expression. Les hésitations de l’Académie française En réalité, Littré ne fait que suivre l’avis de l’Académie française. En 1835 puis en 1878, l’Institution admettait « par contre » dans le style commercial. Elle l’a exclu en 1932, puis l’a inséré de nouveau en 1988 avec le commentaire suivant (maintenu en 2001) : « La locution “par contre » ne peut donc être considérée comme fautive, mais l’usage s’est établi de la déconseiller chaque fois que l’emploi d’un autre adverbe est possible. » Ironie du sort, la formule a été relevée chez une quarantaine d’académiciens ! Cette « schizophrénie » se manifeste notamment chez Abel Hermant (1862-1950) qui l’a employée neuf fois dans ses écrits, mais qui la condamne en tant qu’académicien, sous prétexte que c’est une « façon de parler boutiquière » ! Gide, le grand défenseur Les autres adverbes suggérés par l’Académie française sont « en compensation » ou « en revanche ». C’est de ces tournures que se réclament les puristes. C’est alors qu’André Gide, l’un des plus grands écrivains français, prix Nobel de littérature, intervient dans le débat. Selon lui, les adverbes de remplacement ne conviennent pas toujours. « Trouveriez-vous décent qu’une femme vous dise : « Oui, mon frère et mon mari sont revenus saufs de la guerre ; en revanche j’y ai perdu mes deux fils » ? ou « La moisson n’a pas été mauvaise, mais en compensation toutes les pommes de terre ont pourri » ? » questionne-t-il. Nous laissons nos lecteurs juges des mises en garde gidiennes. La bénédiction de Grevisse Grevisse, comme à son habitude, se montre également permissif sur l’emploi de « par contre » : « Il est entré dans l’usage général, même le plus exigeant, au cours du XIXe siècle. » Et de préciser, comme s’il s’agissait d’une victoire, « malgré la résistance des puristes » ! Pour justifier sa tolérance, Grevisse se fonde sur les nombreux et excellents auteurs français (plus d’une centaine !) qui l’ont adoubée : Stendhal, Maupassant, France, Régnier, Gide, Proust, Giraudoux, Duhamel, Bernanos, Morand, Saint-Exupéry, Montherlant, Malraux, de Gaulle, Pompidou… Conclusion Employer la locution « par contre » ne constitue pas une faute, puisqu’elle est admise dans le registre courant. Pour clore le débat, nous nous rangeons à l’avis de Larousse. Il est recommandé d’employer « en revanche » dans l’expression soignée – on dit aussi « la langue surveillée » – en particulier à l’écrit. Vous l’aurez compris, la querelle n’est pas d’ordre linguistique, mais social ; il s’agit moins d’une question de grammaire que de style. La langue française, perçue comme extrêmement rigide, offre parfois des espaces de liberté. Ce serait dommage de ne pas en profiter ! Sandrine Campese Lisez aussi sur le blog : ces mots que détestent les automobilistes… sardine, hareng, maquereau… ces mots à deux orthographes. Publié par Sandrine