Rappel des faits L’inscription « Omar m’a tuer » aurait été tracée par Ghislaine Marchal avec son propre sang le 23 (ou le 24 ?) juin 1991 alors qu’elle agonisait dans la cave de sa villa de Mougins (Alpes-Maritimes), désignant Omar Raddad, son jardinier, comme meurtrier. La faute d’accord a été au cœur des interrogations des enquêteurs. D’abord, ils ont pensé qu’une femme aussi respectable que Mme Marchal n’avait pas pu commettre une telle erreur ! Puis, ils se sont rendu compte, en épluchant ses correspondances, qu’elle n’était pas à sa première entorse à la langue de Molière et qu’elle était même complètement fâchée avec les participes passés. En effet, les verbes du 1er groupe (comme ici « tuer ») ont leur infinitif en -er et leur participe passé en -é. En cas d’hésitation, il suffit de remplacer le verbe du 1er groupe par un verbe du 3e groupe (comme « prendre »). Ici, il s’agit bien du participe passé « tué ». De plus, le pronom COD « m’ », mis pour Mme Marchal, est placé avant le verbe. Le participe passé prend donc la marque du féminin singulier. La phrase correcte est bien « Omar m’a tuée ». Déclinaisons En 2011 est sorti sur nos écrans un film inspiré de ce fait divers morbide. Réalisé par Roschdy Zem, il met en scène les acteurs Sami Bouajila et Denis Podalydès. Son titre, Omar m’a tuer, ne fait que reprendre la faute de l’inscription retrouvée sur les lieux du crime. Mais, pour la première fois, elle s’est étalée en 4 x 3… Mieux (ou plutôt « pire »), l’erreur a été reprise sur de nombreux supports de promotion. En juin 2011, le magazine Elle titrait Omar l’a changer à propos de l’acteur Sami Bouajila qui interprète Omar Raddad. Mais ce n’est pas tout ! Deux ans plus tard, en 2013, on pouvait lire Omar m’a pousser sur des affiches publicitaires. Celles-ci invitaient les abonnés de Canal + à regarder le film Intouchables d’Éric Toledano et Olivier Nakache, également sorti en 2011. En effet, dans ce film, l’acteur Omar Sy pousse le fauteuil roulant de François Cluzet qui joue le rôle d’un tétraplégique. Or, le prénom Omar fait penser à… Omar Raddad bien sûr ! On notera que dans ces deux déclinaisons, c’est le verbe – toujours mal accordé – qui varie. Détournements En fait, il n’a pas fallu attendre le film de Roschdy Zem pour que la faute s’exhibe sur de nombreux supports littéraires et publicitaires. Cela fait plus de vingt ans que c’est le cas ! Généralement, c’est le sujet de la phrase qui change pour se décliner à l’infini dans des titres d’ouvrages comme Mitterrand m’a tuer de Jacques Médecin (1994), L’open space m’a tuer et Facebook m’a tuer d’Alexandre des Isnards et Thomas Zuber (2008 et 2011) Sarko m’a tuer puis Sarko s’est tuer de Gérard Davet et Fabrice Lhomme (2011 et 2014) ; mais aussi dans la publicité : McDo m’a tuer (2013) est tracé au ketchup sur de fausses affiches pour annoncer le retour de Burger King en France. La popularité d’une faute Ce qui nous intrigue, aujourd’hui, c’est comment une inscription aussi macabre, qui a envoyé une femme à la mort et un homme (peut-être innocent, le saurons-nous un jour ?) en prison, a pu devenir aussi populaire. Bien sûr, depuis les faits, la formule a pris un sens figuré : ce n’est plus de mort « physique » qu’il est question mais des effets pervers causés par la « fréquentation » (à l’excès) de tel ou tel homme politique, de tel ou tel fastfood, de tel ou tel réseau social, etc. L’Académie française devrait-elle réformer la règle d’accord du participe passé « tué » ? Après tout, on n’est plus à une exception près ! Plus sérieusement, faites le test : tapez « m’a tué » sur Google et vous n’obtiendrez que des résultats avec « m’a tuer ». C’est tout juste si Google ne nous suggère pas d’essayer avec l’orthographe en -er. Inquiétant, non ? Mais le plus grave dans cette affaire, ce sont les réactions de nos compatriotes. À la sortie du livre Sarko m’a tuer, les commentaires des internautes portaient moins sur le sujet traité que sur la prétendue faute dans le titre ! Le site d’information Rue89 s’en est d’ailleurs beaucoup amusé, tirant allègrement sur les ficelles : « « Sarko m’a tuer » : pourquoi ce livre va marché » puis « Sarko m’a tuer » : pourquoi le titre de Rue89 vous a choquer. À qui la faute ? Aux Français qui n’ont pas le « réflexe » de contextualiser l’erreur grammaticale ? Parce qu’ils n’en ont jamais entendu parler ? Parce qu’ils ne s’y sont jamais intéressés ? Ou simplement parce qu’ils étaient trop jeunes au moment des faits, survenus il y a plus de vingt ans ? Ou bien est-ce la faute des médias qui commencent très sérieusement à manquer d’inspiration, et cèdent à la facilité qui consiste à « traire » jusqu’à épuisement une expression qui a déjà trop fait parler d’elle ? Une faute… qui pousse à la faute Allons plus loin : l’utilisation de cette formule fautive est clivante. Il y a ceux qui comprendront et les autres. Bien sûr, la création publicitaire est un art comme les autres. Or l’art n’a pas vocation à être juste ou faux, ni à être compris par tous. Il doit au contraire être interprété à la lumière de son propre ressenti et surtout de ses connaissances… artistiques. Certes, ceux qui ont été informés de l’affaire Raddad comprennent le sens de ces clins d’œil douteux. Mais si personne n’est là pour expliquer aux jeunes générations la genèse de l’expression, que retiendront-ils à part la faute ? Dans le « pire » des cas, elle passera inaperçue et contaminera les copies des dictées. Plutôt que de demander à l’Académie française de réformer la règle d’accord du participe passé, et si l’on déclarait officiellement : RIP* « Omar m’a tuer » ! * Repose en paix (Requiescat in pace, en latin, Rest in peace, en anglais). Découvrez nos solutions en orthographe et en expression. 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