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Anacoluthe ! Catachrèse ! Ces jurons du capitaine Haddock qui sont des figures de style

Que seraient les aventures de Tintin sans le capitaine Haddock et ses célèbres jurons ? Plutôt que d’utiliser de vraies insultes, Hergé a eu l’idée de mettre dans la bouche du capitaine des mots qui n’ont pas de valeur péjorative, mais qui ont comme point commun leur complexité et leur longueur : ornithorynque, anthropophage, schizophrène, troglodyte, polygraphe, ectoplasme, amphitryon, macrocéphale, etc. Prononcés sur un ton irrité, ces termes qui cumulent les « h » et les « y » peuvent avoir quelque chose d’agressif ou d’effrayant. Il n’est pas étonnant de trouver dans cette liste deux figures de style aux noms mystérieux : l’anacoluthe et la catachrèse. Pendant que le capitaine a le dos tourné, faisons les présentations !
Par Sandrine

L’anacoluthe

On appelle « anacoluthe » une rupture dans la construction d’une phrase. Lorsqu’elle est volontaire, c’est une figure de style. Lorsqu’elle est involontaire, c’est une faute de syntaxe.

L’anacoluthe est fréquente dans la littérature, et particulièrement la poésie. La plus belle est contenue dans les deux derniers vers de L’Albatros, magnifique poème de Baudelaire, tiré des Fleurs du mal (1861) :

Exilé sur le sol au milieu des huées,
Ses ailes de géant l’empêchent de marcher.

La plus célèbre se trouve dans Les Pensées de Pascal : « Le nez de Cléopâtre, s’il eût été plus court, la face du monde en eût été changée. » Ici la phrase commence par un groupe de mots (le nez de Cléopâtre) qui semble être sujet, mais qui perd cette fonction dans la suite de la phrase.

En dehors de cet usage rhétorique, l’anacoluthe est une faute qui consiste à commencer une phrase d’une certaine manière et à la finir autrement. La plus courante clôt maladroitement nos correspondances : « En espérant avoir de vos nouvelles, veuillez agréer mes salutations distinguées. » Il y a une rupture entre « en espérant » et « veuillez agréer ». Le sujet sous-entendu de « en espérant » est l’auteur de la lettre. La construction correcte est donc : « En espérant avoir de vos nouvelles,  je vous prie d’agréer… »

La catachrèse

La catachrèse consiste à étendre la signification d’un mot au-delà de son sens propre. Concrètement, c’est une métaphore ou une métonymie dont l’usage est si courant qu’elle n’est plus sentie comme telle.

Les nombreux exemples parlent d’eux-mêmes :

  • le bras de mer, du fauteuil ;
  • le pied de table ;
  • les ailes du moulin, de l’avion, du bâtiment ;
  • la tête d’un clou ;
  • le cul-de-lampe ;
  • la laine de verre ;
  • la feuille de papier ;
  • la plume du stylo ;
  • le manteau de cheminée ;
  • une dent qui se déchausse ;
  • habiter des cages à lapins ;
  • essuyer une tempête ;
  • prendre un bain de soleil…

Et lorsque nous disons que nous surfons ou que nous naviguons sur la Toile, nous utilisons, devinez quoi ? Une catachrèse ! Pas sûr que le capitaine Haddock, qui appréciait déjà peu les conversations téléphoniques, aurait vu Internet d’un très bon œil…

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Sandrine Campese

Publié par Sandrine
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    dan
    11 mars 2018 à 15 h 45 min
    c'est bidon
  • Avatar
    Sandrine Campese
    12 mars 2018 à 16 h 20 min
    Bonjour dan, en quoi cet article ne vous a-t-il pas donné entière satisfaction ?
  • Avatar
    Anikam
    30 novembre 2016 à 01 h 41 min
    Bonsoir, Sandrine. Alors moi, je me remets au latin. J'ai donc ressorti ma vieille grammaire latine Petitmangin édition 1962 (!) encore en bon état , bien que jaunie et par endroits tachée d'encre (c'est émouvant…). Au chapitre intitulé "Style indirect" et à la fin du paragraphe sur "les propositions qui seraient subordonnées dans le style indirect" (p. 158), on peut lire : "Il ne faudra pas s'étonner, d'ailleurs, de rencontrer, dans le style indirect, même chez d'excellents auteurs, les propositions subordonnées maintenues à l'indicatif par une sorte d'anacoluthe". A la vue de ce mot, il m'a semblé que je le découvrais. Je n'avais pas rouvert cette brave Petitmangin depuis fort longtemps (après 1962, tout de même…), et y avais sans doute jadis lu ce chapitre, cette phrase contenant le mot "anacoluthe", mais du moins ne m'en souvenais-je pas du tout. Par ailleurs, si je connais bien Tintin et le capitaine Haddock, impressionnée comme tous les enfants (et ceux qui ne le sont plus !) qui lisent et apprécient depuis peu ou depuis toujours leurs aventures, par les (fausses) injures, nombreuses et compliquées, recherchées, "savantes" du capitaine, j'avoue que je suis encore loin, à ce jour, de les avoir toutes retenues… J'ai été ravie, après avoir saisi "anacoluthe" dans la barre de Google, d'avoir trouvé, parmi les résultats, votre article sur ce mot et "catachrèse", très instructif, simple et amusant à lire, très bien fait, comme toujours. Je vais maintenant éteindre mon ordinateur, fermer la grammaire latine (pour aujourd'hui), la ranger non loin des albums de Tintin (au complet), et vous souhaiter une très belle nuit.
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    Sandrine
    1 décembre 2016 à 00 h 25 min
    Bonsoir Anikam, c'est un vrai bonheur de vous lire ! Je partage votre émotion concernant la vieille grammaire. Je passe beaucoup de temps dans les brocantes et les foires aux livres pour en acquérir. J'en ai une vingtaine auxquelles je tiens énormément ! Je les lis, je prends des notes dans un carnet. Cela m'inspire pour écrire les billets que je publie sur ce blog :-). J'aime me dire que ces livres ont une histoire, qu'ils ont "connu" des événements historiques marquants (j'ai une Grammaire des dames qui date de 1789 !), qu'ils ont circulé dans des dizaines, peut-être des centaines de mains avant d'atterrir dans ma bibliothèque. Mais comme vous, j'aime aussi naviguer sur Internet pour creuser des informations que je trouve dans les livres. Les deux outils se complètent à merveille. Bonne continuation et à bientôt j'espère !
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    Jean Sagaut
    5 juin 2015 à 09 h 45 min
    Je viens de découvrir vos billets, que je trouve aussi plaisants qu'instructifs! Nous avons tous besoin de vous pour nous remettre sur le droit chemin de la langue française. Pourriez-vous nous éclairer sur l’étymologie de ces deux mots un peu disgracieux, "anacoluthe" et "catachrèse" ? Merci d'avance, et merci au capitaine Haddock sans qui ces deux curiosités linguistiques seraient, injustement, retombées dans l'oubli!
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    Sandrine
    5 juin 2015 à 13 h 16 min
    Bonjour Jean et merci pour votre sympathique message. Les noms de ces figures de style viennent du grec : - "anacoluthe" vient de an?koluthon, du préfixe privatif a(n)- et de akolouthos, "qui suit, qui accompagne" (même racine que "acolyte"), d'où "qui n'est pas à la suite de" - "catachrèse" est issu de katakhrêsis, "abus", "emploi abusif d'un mot". Bonne journée et au plaisir de vous lire à nouveau ! :-)
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    Emmanuel Finot
    27 avril 2015 à 14 h 25 min
    Complainte du correcteur solitaire. Pourquoi les quotidiens, périodiques, PLV, pub ou affiches sont-ils truffés de fautes ? Parce qu'ils s'en contremoquent ou ne savent même pas ce qu'est un code typo. Un correcteur rectifierait tout ça en moins de deux. Par exemple, quand je vois la pub d’un opticien dont l'enseigne porte son prénom et son nom de famille nous infligent depuis des années des énormités comme "Pour un euro de plus vous n'avez pas une mais deux lunettes supplémentaires." En d'autres termes, pour un euro de plus vous n'avez pas une mais deux longues-vues (ou lorgnettes) supplémentaires ? Cela lui ferait mal au sein de dire paire, surtout qu'il a toute la place pour l'écrire. C'est comme un ciseau, je sculpte et des ciseaux, je coupe. Pis, quand le ministère de la Santé nous pond un bandeau après son spot de pub regardé par 5 millions de téléspectateurs avant le film du dimanche soir sur TF1 : "1 français sur 4 a des problèmes avec l'alcool". C’est "1 Français sur 4 " avec une majuscule. Personne dans ce ministère ne peut corriger cette énormité basique ? J’ai relevé dernièrement dans un arrêté de la Police française « la vente d’alcool est interdite aux mineurs de moins de 18 ans » ; pléonasme au garde-à-vous ! Ce ne sont pas les énormités qui manquent. Allez voir sur le site "Bescherelle ta mère", c’est à mourir de rire. Tout ça pour dire qu’un correcteur payé au lance-pierre coûte une fortune ? Misère. Les temps sont durs, mais faire l'impasse sur l’étape décisive de la lecture-correction, c’est du n’importe quoi. Nous autres faisons un combat d’arrière-garde et ce n’est pas un correcteur électronique : Cordial, Antidote ou encore ProLexis qui va tirer d’affaire les rédacteurs de tout poil. Allez, je vous laisse : j’ai la larme à l’œil et je ne vois plus le clavier ! Emmanuel Finot [email protected]
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    Sandrine
    3 mai 2015 à 21 h 18 min
    Bonsoir Emmanuel, merci pour ce "coup de gueule" que nous partageons. En revanche, quel rapport avec les jurons du capitaine Haddock ?

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