Des étymologies bien distinctes Comme souvent pour saisir avec exactitude le sens d’un mot, un petit détour par l’étymologie est vivement recommandé ! On apprend notamment que les deux mots sont apparus au XVIe siècle, celui de Joachim du Bellay, marqué par un foisonnement linguistique sans précédent. Si « illettré » nous vient du latin illiteratus, « analphabète » a pour racine grecque analphabêtos. De parfaits synonymes ? Les origines respectives d’« illettré » et d’« analphabète » nous éclairent immédiatement sur leur sens. Commençons par décomposer « analphabète » en « an-alpha-bête ». On reconnaît bien le préfixe privatif a- (sous la forme an-, car placé devant une voyelle), et les deux premières lettres grecques alpha et bêta. Littéralement donc, un analphabète « ne sait ni alpha ni bêta », c’est-à-dire « ni A ni B ». Et si l’on ignore les deux premières lettres de l’alphabet, alors foncièrement, on ne peut ni lire ni écrire… À présent, intéressons-nous à « illettré », qui est composé du préfixe privatif in- (devenu il- devant « l ») et de « lettré ». À l’origine, on qualifiait de « lettré » celui qui étudiait les lettres, c’est-à-dire les livres. Par conséquent, l’illettré méconnaissait la littérature, et, par extension, n’était pas cultivé. Avec le temps, ce sens s’est affaibli, et « illettré » a fini par signifier « qui ne sait ni lire ni écrire », devenant un parfait synonyme d’« analphabète » ! Une nuance à ne pas négliger Si aujourd’hui « analphabète » et « illettré » sont employés presque indifféremment, il existe entre eux une nuance de sens qui peut tout changer ! Jugez plutôt. L’analphabète n’a pas appris à lire et à écrire dans sa langue, pour la simple raison que, bien souvent, il n’est pas allé à l’école. L’illettré, lui, a été scolarisé mais cet apprentissage n’a pas conduit à la maîtrise de la lecture et de l’écriture ou bien cette maîtrise a été perdue. Il éprouve donc de grandes difficultés à lire et à écrire. Plus précisément, l’illettrisme se mesure par l’incapacité d’un individu à déchiffrer un texte de plus de six lignes et à en tirer les informations dont il a besoin. Le bon choix En conclusion, il faut être prudent lorsqu’on emploie l’un ou l’autre de ces termes, car ils correspondent à des réalités sociologiquement différentes qui ne sauraient être traitées de la même manière. Ainsi, s’il souhaitait qualifier des personnes qui ont été scolarisées mais dont le niveau de lecture ou d’écriture, trop faible, risque de poser des problèmes pour (re)trouver un emploi, alors le ministre de l’Économie a utilisé le bon mot. Le reste appartient à la politique, et non à la linguistique. Sandrine Campese Lisez aussi sur le blog : l’expression « voir midi à sa porte » ; le sens caché des mots (ou langue des oiseaux) ; les jurons du capitaine Haddock. Publié par Aline Laffont