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La magie de l’haplologie

Quel est le point commun entre les mots suivants : « Clermont-Ferrand », « tragi-comique » et « contrôle » ? À première vue, aucun ! Le premier est un nom propre, le deuxième un adjectif et le dernier un nom commun. Il est question d’une ville du centre de la France, d’un genre théâtral et du synonyme de « vérification ». Et pourtant, ces mots ont la particularité d’être formés de la même manière, grâce à un procédé nommé haplologie. « Hapolo », quoi ? Explications.
Par Sandrine

L’haplologie, kézako ?

Derrière cette appellation barbare se cache un tour de magie qui fait disparaître les lettres d’un mot. Vous n’y croyez pas ? Jugez plutôt :

Clermont-Ferrand est l’haplologie de Clermont-Monferrand. En effet, au Moyen Âge, Clermont (qui s’écrivait Clairmont) et Monferrand étaient deux villes voisines et rivales. C’est en 1630 que Louis XIII décide de les réunir, choix qui sera confirmé un siècle plus tard par Louis XV. Et plutôt que de dire « Clermont-Monferrand », ce qui revenait à répéter la syllabe mon, on est allé à l’essentiel. D’où « Clermont-Ferrand », qui est souvent réduit à « Clermont » dans le langage courant.

Tragi-comique est l’haplologie de tragico-comique. En latin, la pièce de théâtre où se mêlent des éléments tragiques et des éléments comiques se nomme tragico-comoedia. Pour éviter de prononcer [coco], dont l’effet est plus comique que tragique, on a supprimé la syllabe finale de « tragico ». À la fin du XVIIe siècle, le genre tragi-comique, que l’on trouve parfois orthographié « tragicomique », était né, au sens propre comme au sens figuré !

Contrôle est l’haplologie de contre-rôle. Au Moyen Âge, le rôle désignait un registre tenu en double, l’un servant à vérifier l’autre (d’où contre). C’est au XVIIIe siècle que la forme contre-rôle a été éliminée, afin d’éviter la proximité phonétique des syllabes -re- et -ro-.

Vous l’aurez compris, l’haplologie, de haplo- (« une seule fois ») et -logie (« discours »), est le fait de n’écrire et de ne prononcer qu’une fois un élément redoublé. En linguistique, on parle de « l’amuïssement d’un ou plusieurs phonèmes répétés ou proches ».

Autres exemples d’haplologies

Parmi les plus connues, citons : « minéralogie » (minéralologie) ; « féminiser » (fémininiser) ; « idolâtrie », emprunté au latin idololatria ; « dysmorphobie », forme simplifiée de dysmorphophobie ; « amphore », du grec amphoreus, forme simplifiée d’amphiphoreus : « que l’on porte (pher) des deux côtés (amphi) ».

L’anglais n’est pas exempt d’haplologies. Ainsi, probably (probablement) provient de la simplification de probable-ly.

Enfin, le dieu Toutatis, si souvent invoqué dans les bandes dessinées d’Astérix, est l’haplologie de touto-tatis, « père de la tribu » !

Sandrine Campese

Découvrez également notre article sur les figures de style.

Publié par Sandrine
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    Chambaron
    8 décembre 2019 à 23 h 24 min
    En bricolant mes racines grecques, je m'aperçois que le mot haplologie est lui-même une discrète haplo-logie : hapló (simple) et plóos (pliage) ont fusionné en haplóos avant de se simplifier encore. Étonnant, n'est-ce-pas ?
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    Emma
    9 octobre 2017 à 18 h 58 min
    A propos d'haplologie, le Grévisse évoque des cas grammaticaux. Par exemple on ne dit pas "Le sol est couvert de du sable" mais "Le sol est couvert de sable" (ellipse de l'article partitif). Je m'interroge sur un autre cas. Faut-il dire "Sers-toi de pain" ou "Sers-toi du pain", étant donné qu'il faut différencier "se servir de quelque chose" (Je me sers de la tronçonneuse) et "se servir quelque chose" (Je me sers du pain). Merci d'éclairer ma lanterne !
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    Sandrine Campese
    12 octobre 2017 à 16 h 08 min
    Bonjour Emma, bien sûr, on dira "sers-toi du pain" ou "sers-toi un morceau de pain" ; de même, "sers-toi de l'eau" ou "sers-toi un verre d'eau". Stricto sensu, l'haplologie est la suppression du même phonème répété. Suivant cette définition, "de / du" n'est pas un cas d'haplologie, mais une simple ellipse. Bon après-midi.
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    Martine G
    4 avril 2015 à 16 h 47 min
    le français très "délicat" moi j'adore... et les commentaires en tous sens aussi...
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    Christian guillon
    10 mars 2015 à 22 h 51 min
    Bonsoir Vincent Rochette, merci beaucoup pour la critique de mon orthographe. Mea-culpa, "merci d'avoir retenu mon attention", cordialement.
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    Christian
    1 mars 2015 à 17 h 08 min
    Bonjour, merci pour cette magie, elle permet de comprendre des SMS intuitifs comme " a'vous vu?"
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    Sandrine
    2 mars 2015 à 13 h 31 min
    Bonjour Christian, que signifie "a'vous vu ?"
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    langlais
    27 février 2015 à 23 h 35 min
    Bonsoir Chambaron, N’est-ce pas plutôt de janotisme qu’il convient de parler dans l’exemple que vous donnez. Voir B de ceci http://www.cnrtl.fr/lexicographie/janotisme
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    Chambaron
    28 février 2015 à 17 h 44 min
    Rapprochement intéressant, mais après vérification il s'agit bien d'haplologie, destinée à éviter la répétition de "en" pourtant justifiée syntaxiquement...
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    Sylvie Austrui
    27 février 2015 à 23 h 15 min
    Ayant lu à mon compagnon cet intéressant article, celui-ci à conclu : "Pourquoi alors ne dit on pas 'haplogie' ?"
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    Sandrine
    28 février 2015 à 16 h 09 min
    Bonjour Sylvie, sa remarque est très judicieuse. En effet, la tentation est forte de supprimer l'une des deux syllabes -lo-, dont la proximité est gênante est l'oral. C'est tout le paradoxe de ce mot savant : l'haplologie n'est pas une haplologie ! La forme "haplogie" n'existe pas, alors que les autres haplologies citées dans cet article sont passées depuis un certain temps (souvent plusieurs siècles !) dans le langage courant et sont attestées dans les dictionnaires.
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    Chambaron
    19 février 2015 à 02 h 57 min
    Bonsoir Sandrine, Que le métier si roboratif d'haplologue est devenu rare, en ce siècle où la redondance et les lourds pléonasmes courent les lignes ! Signalons aussi qu'il est des haplologies de syntaxe. Si je dis : "As-tu eu des billets de ton ami ? - Oui, j'en ai eu trois...", on est bien en peine de savoir si "en" désigne l'ami ou les billets... Quand l'élégance de la langue fait la nique à l'analyse grammaticale !
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    Vincent Rochette
    10 mars 2015 à 21 h 49 min
    Désolé de vous contredire : il n'y a pas de confusion possible entre les trois billets et l'ami car "en" reprend le nom principal du groupe nominal "des BILLETS de ton ami", ami n'étant qu'un complément dans ce groupe nominal. Autrement, on pourrait faire de mauvais jeux de mots en multipliant les ... de ... de ... de ... et cela deviendrait carrément incompréhensible (et donc pas forcément amusant) Rspctsmnt, VR
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    Angéline
    3 mars 2015 à 12 h 19 min
    Bonjour à toutes et à tous, Me permettrai-je une remarque ? Il me semble que le pronom adverbial "en" désigne obligatoirement dans cet exemple " l'ensemble " des billets disponibles dont on retire les trois billets reçus . Pour désigner la personne de l'ami, il serait plus approprié ici d'utiliser " de lui, de sa part ", comme dans l'exemple " je me souviens de quelque chose = je m'en souviens mais, je me souviens de cet ami = je me souviens de lui " . Bonne journée !

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