Sommaire Bayer aux corneilles Bayer est un vieux verbe issu du latin batare, fondé sur l’onomatopée bat, jadis utilisée pour reproduire le bruit que l’on fait en ouvrant la bouche. Bayer signifie donc « ouvrir tout grand ». Depuis le XVIIe siècle, à cause de la concurrence de bâiller, il n’existe que dans la tournure bayer aux corneilles soit « rêvasser, perdre son temps à regarder en l’air niaisement ». Bâiller, qui vient aussi de batare, consiste à ouvrir la bouche sous l’effet de la fatigue, de la faim ou encore de l’ennui. Par extension, il exprime le fait d’être entrouvert, mal fermé ou mal ajusté. On parle ainsi d’une robe qui bâille ou d’une porte entrebâillée. Faire bonne chère Pourquoi n’écrit-on pas « chair » dans « bonne chère » ? Ce mot serait plus en rapport avec le sens : faire un bon repas, avec nécessairement de la viande au menu ! Sauf que cette expression n’a, historiquement, aucun lien avec la nourriture. Chère est une déformation du latin cara qui signifie « visage ». À l’origine, faire bonne chère, c’était faire « bon visage », c’est-à-dire « bon accueil ». Comme « bon accueil » rime souvent avec « bon repas », et que chère a pour homophone chair, l’usage moderne a modifié quelque peu le sens initial. Faire bonne chère, désormais, c’est se régaler de mets succulents, que l’on soit carnivore ou végétarien ! C’est là que le bât blesse Pourquoi bât prend-il un accent circonflexe et un « t » final ? Parce qu’il est issu du latin bastum, lui-même dérivé du verbe bastare (porter). En vieux français, on écrivait bast : le « s » s’est mué en accent circonflexe sur la voyelle précédente. Mais qu’est-ce qu’un bât ? C’est le dispositif que l’on attache sur le dos des bêtes de somme (comme l’âne) pour leur faire porter une charge. S’il est mal fixé ou trop chargé, le bât peut faire souffrir l’animal. D’où l’expression C’est là que le bât blesse pour signaler la cause d’un problème ou d’un mal. Rien à voir donc, avec le bas (du latin bassus) qu’on enfile par les pieds ! Découvrez nos solutions en orthographe et en expression. Une maison de plain-pied Issu du latin planus (plat, uni), l’adjectif plain (qui fait plaine au féminin) n’est plus guère utilisé seul. Il a survécu dans les expressions « plain-chant » pour désigner un chant à une seule voix et plain-pied, à propos d’un logement construit au niveau du sol extérieur, ou dont les pièces sont situées au même niveau. Au figuré, entrer « de plain-pied » dans le vif du sujet, signifie « directement, sans transition ». À ne pas confondre avec l’adjectif plein, du latin plenus (complet, entier, abondant) qui compose les locutions « de plein fouet » (de face, directement et violemment) et « terre-plein » (plate-forme). Par acquit de conscience Dérivé du verbe acquitter, acquit est à l’origine la reconnaissance écrite d’un paiement, qui survit dans la mention « pour acquit ». Autre sens vieilli, l’acquit est « ce qui garantit la vérité de ce que l’on dit ». C’est ce sens que l’on retrouve dans la locution « acquit de conscience » en usage depuis le XIXe siècle. Aujourd’hui, faire quelque chose par « acquit de conscience », c’est le faire consciencieusement, de manière à « avoir la conscience tranquille ». Aucun lien, donc, avec acquis, participe passé du verbe acquérir. À cor et à cri Dans cette expression, il n’est pas question du « corps », mais du cor. Ce nom, qui vient du latin cornu, « corne », a d’abord désigné la ramification des bois du cerf. Puis il est devenu l’instrument à vent, formé à l’origine d’une corne évidée, percée et servant à émettre des signaux, des appels. Utilisé à la chasse, le cor est entré dans l’expression « chasser à cor et à cri », avec le son du cor et le cri des chiens ! Enfin, l’expression « à cor et à cri » est sortie de son contexte et s’emploie désormais pour dire que l’on réclame, que l’on demande quelque chose à grand bruit, en insistant. À l’envi Dans cette expression, envi ne prend pas de « e ». Pourquoi ? Parce qu’il ne s’agit pas de l’envie, ce désir teinté de jalousie, mais du vieux mot envi qui a signifié « défi » puis « rivalité ». Il est tiré de l’ancien français envier, « inviter », « provoquer », lui-même formé sur le latin invitare qui a donné « inviter ». Faire quelque chose à l’envi, c’est, en quelque sorte, inviter, défier son voisin à faire mieux ! L’expression signifie donc « à qui mieux mieux, en rivalisant, en cherchant à l’emporter sur l’autre, avec émulation ». Un ensemble d’individus peut travailler à l’envi, flatter à l’envi, boire à l’envi… En filigrane Le filigrane, c’est un dessin imprimé dans le corps du papier et que l’on ne voit que par transparence. De là est née l’expression figurée en filigrane qui signifie « d’une façon implicite, latente, qu’on laisse deviner ». Pourquoi est-on tenté d’écrire « en filigramme » ? Parce que l’on pense au « gramme ». L’altération était déjà fréquente au XVIIe siècle, mais ce n’est pas une raison pour la ressusciter ! Le mot vient de l’italien filigrana, « fil à grains ». Cette origine en tête, vous ne serez plus tenté(e) d’écorcher cette expression. En son for intérieur Ici, l’erreur courante consiste à écrire « fort » avec un « t » final, comme si c’était l’adjectif qui fait « forte » au féminin. Or, il est question du for, issu du latin forum signifiant « place publique », puis « tribunal ». Au XVIIe siècle, l’autorité de la justice humaine était désignée par l’expression « for extérieur ». Par analogie, on a créé l’expression for intérieur pour parler du « tribunal intime de la conscience ». Désormais, quand on pense quelque chose « en son for intérieur », c’est dans le secret de sa pensée. Avec un « s », fors est une vieille préposition signifiant « excepté ». « Tout est perdu, fors l’honneur », aurait déclaré François Ier lors de la défaite de Pavie. Il a été remplacé au XVIIe siècle par « hors ». À huis clos Pour se réunir à huis clos, il suffit… de fermer la porte (huis en vieux français) ! Le « s » de huis est hérité du latin ostium signifiant « entrée, ouverture ». Dès le XVIIe siècle, huis devient archaïque ou littéraire, car il est concurrencé par « porte ». De nos jours, on ne le rencontre plus que dans la locution « à huis clos », littéralement « à porte fermée » et au figuré « en petit comité ». En tant que nom, « huis clos » est un terme juridique excluant le public d’une audience (demander le huis clos). En dehors de « huis clos », huis est encore présent dans huissier, au sens propre, « gardien d’une porte », et son dérivé huisserie. À lire également : notre billet sur l’expression au temps pour moi ! Sandrine Campese Publié par Sandrine