L’écriture dite « inclusive » divise actuellement l’opinion publique, pourtant c’est loin d’être une nouveauté. En effet, ce point fait partie d’un guide pratique édité par le Haut Conseil à l’égalité (HCE) en 2015. Il édicte des recommandations afin d’éviter les stéréotypes de sexe dans les communications publiques. Dans les grandes lignes, l’écriture inclusive vise à : accorder en genre les noms de fonctions, grades, métiers et titres ; utiliser le masculin et le féminin quand on parle d’un ensemble de personnes ; préférer des termes génériques à homme et femme (par exemple parler de droits humains au lieu de droits de l’homme) ; utiliser la règle dite de l’accord de proximité au lieu de faire prévaloir le masculin sur le féminin. Alors pourquoi ce soudain regain d’intérêt ? À l’origine de tout cela, un manuel scolaire destiné aux élèves de CE2 et édité par Hatier en mars 2017, appliquant à la lettre les recommandations du HCE. Un choix parfaitement assumé par l’éditeur. C’est finalement un article du Figaro mettant en avant l’ouvrage qui a mis le feu aux poudres en septembre dernier. Depuis, le sujet ne cesse de déchirer tous les acteurs de la scène publique. Qu’en penser ? C’est la question que nous avons souhaité soumettre à nos experts. Bruno Dewaele, champion du monde d’orthographe Il me déplaira toujours que la langue soit prise en otage par une cause, si juste soit-elle. Que la grammaire française reflète les préjugés d’un temps où « la toute-puissance était du côté de la barbe » me semble difficilement contestable. Faut-il pour autant en faire une victime expiatoire ? Ce serait reculer ici sans avancer là. Rase-t-on les châteaux de la Loire sous prétexte qu’ils représentent les vestiges d’un passé absolutiste ? De même que l’on doit accepter la France telle qu’elle fut, avec ses grandeurs et ses servitudes, il importe d’aimer comme elle est une langue qui souffre assez des coups irresponsables que lui portent les anglomanes de tout poil. Quand chacun dénonce son excessive subtilité, n’allons pas la compliquer encore au nom de vaines chimères ! Surtout, n’ayons garde de sacrifier sur l’autel de l’idéologie cette clarté qui fit son renom. De surcroît, loin de n’être qu’un moyen, une langue a aussi pour fin de créer du beau. Or, comme on dit en français d’aujourd’hui, l’écriture inclusive, c’est « juste moche » ! Marie-France Claerebout, relectrice et formatrice Lutter contre toute forme de discrimination est un objectif certes louable, mais n’allons pas nous tromper de cible : la question de l’égalité entre femmes et hommes se pose dans bien des sociétés, indépendamment de la langue qui s’y parle et de la place respective des divers genres grammaticaux (féminin, masculin et neutre). En français, faire l’amalgame entre le genre grammatical d’un nom et le genre de l’être vivant qu’il désigne serait pour le moins abusif, me disaient hier encore un crapaud femelle et une grenouille mâle. De même, quand nous lisons qu’« un témoin a volé au secours de la victime », rien n’indique s’il est question d’hommes ou de femmes. Sexiste, notre langue ? Si les arguments en faveur de l’« écriture inclusive » peinent à me convaincre, j’ai le plus profond respect pour le point de vue des auteurs que je relis. Comme notre lexique évolue en reflétant les changements dans notre société, il autorise chacun à opter pour le ou la maire, le ou la chef, etc., selon sa sensibilité. Par ailleurs, là où j’écrirais personnellement « L’an prochain, la rentrée des collégiens et des lycéens aura lieu le 2 août » (information livrée ici en avant-première), une autre personne optera peut-être pour « L’an prochain, la rentrée des collégiens et collégiennes et des lycéens et lycéennes aura lieu le 2 août ». Libre à elle, pourvu que soient respectés la grammaire… et le lecteur. Pauvre lecteur ! Pense-t-on à lui quand on systématise une écriture compressée et illisible, du type « collégien·ne·s et lycéen·ne·s » ? En dehors des titres ou d’autres cas particuliers où la place manque, écrivons en toutes lettres. Adopter le point milieu des graveurs de pierre d’antan est une chose, en revenir à une écriture lapidaire en est une autre. Alors oui, respecter à la fois notre langue et les personnes qui l’écrivent ou la lisent est possible. Sans longs débats sur le prétendu « sexe des mots ». Julien Soulié, professeur de français Pour qui connaît mes prises de position plutôt « classiques » quant aux réformes linguistiques, mon avis sur l’écriture inclusive pourra paraître assez iconoclaste : en effet, je n’y suis pas du tout opposé… Encore faut-il tempérer cette approbation : je suis favorable à l’écriture inclusive idéologiquement. En effet, notre langue est sexiste, qui a établi la domination écrasante du masculin sur le féminin. J’entends déjà mes détracteurs : « Mais ce n’est que de la langue, il vaudrait mieux s’occuper d’une réelle égalité homme-femme ! ». Primo, l’un n’empêche pas l’autre : on peut très bien lutter contre le sexisme et le harcèlement, revendiquer l’égalité salariale… et en même temps dire que cette égalité passe aussi par la langue ! Secundo, la langue, ce n’est jamais « que de la langue » : bien naïfs – au mieux – ou de mauvaise foi – au pis –, ceux qui croient qu’une langue ne véhicule rien d’autre qu’un message linguistique : la pensée s’élabore à travers la langue, la langue construit la pensée. N’est-ce pas grâce au langage que nous convainquons, que nous émouvons, que nous manipulons autrui ? Chaque langue est bien évidemment porteuse de bien plus que ce qu’elle dit ; chaque langue est une idéologie : à ce titre, l’omniprésence du masculin en dit long sur notre société… Quant à l’argument du masculin qui serait un « neutre par défaut » (le français, contrairement au latin, au grec ou à l’allemand ne possédant plus ce genre), je leur réponds : « Pourquoi est-ce que, par défaut, ce devrait être forcément le masculin ? Après tout, la fameuse règle d’accord “le masculin l’emporte sur le féminin” est très récente (imposée par des académiciens… hommes !) et n’existait pas en latin ou en grec, où l’accord se faisait par proximité… » Cela dit, deux obstacles viennent m’empêcher d’adhérer complètement à l’écriture inclusive : d’abord, son aspect lourd, peu pratique et peu lisible, qui risque de compliquer la tâche à des élèves déjà bien en peine avec l’apprentissage du français… D’autre part, l’injonction brutale qui en a été faite va à l’encontre d’un usage pluriséculaire… Or l’usage n’aime rien moins qu’être brutalisé et malmené : il lui faut du temps. Pour toutes ces raisons, il me semble qu’on gagnerait à surseoir l’emploi de l’écriture inclusive et à progresser par petites touches… Par exemple, on pourrait commencer par (enfin !) valider définitivement la féminisation des noms de fonction (une écrivaine, une professeure…) et par revenir à la règle d’accord de proximité (des garçons et des filles charmantes / des filles et des garçons charmants)… J’espère avoir été assez nuancé et que ma réponse ne vous semblera pas trop une réponse de Normand… enfin, de Normand·e ! Dans une circulaire publiée au Journal officiel le mercredi 22 novembre dernier, le Premier ministre Édouard Philippe a incité « à ne pas faire usage de l’écriture dite inclusive » dans les textes officiels. Une décision qui ne doit malgré tout pas être mal interprétée puisque, s’il souhaite effectivement faire fi de l’usage du point médian, il appelle bien à une égalité dans les textes. Le débat semble donc loin d’être clos… Lisez également sur ce site : ne plus faire d’erreurs en français ; pourquoi fait-on des fautes d’orthographe ? Publié par Aline Laffont